vendredi, décembre 01, 2006

VENDREDI 1 DECEMBRE

Rien à dire : Journée internationale contre le sida. 26 ans
Journée de toutes les souffrances, de toutes les maladies, de tous les désespoirs. Journée de solidarité, parce que tous, nous avons eu ou avons ou aurons besoin de l'amour que nous aurons refusé aujourd'hui, hier, demain.
Tempus fugit.............et les ami(e)s, les amant(e)s aussi.
On m'avait demandé de linker une photo. J'étais prêt à le faire et puis j'ai supprimé cette photo. Parce que je refuse que cette journée soit dédiée au SIDA, aux sidéens et à leurs familles. De même que je refuse la journée contre la lèpre, celle contre les myopathies, contre le cancer. Refuser de cèder à ce calendrier ne doit pas exonérer de nos aides, de quelque façon qu'elles s'expriment, cela doit simplement l'intégrer à notre quotidien. Je regrette que la mobilisation de certains ne se manifeste que ces jours-là. Je comprends, en même temps que c'est au moins l'occasion pour une fois peut-être, d'amener l'attention sur un sujet, un drame. De réclamer des fonds, de prendre de bonnes résolutions (oui, je mettrais une capote, non, je ne mangerais plus d'aliments cancérigènes mais tellement bon, oui je m'astreindrais à une hygiène de vie, non je ne prendrais plus de vacances thérapeutiques........).
Peu, quasiment personne en fait, c'était mon grand secret ! ne sait qu'en 1994 est décédé Nicolas. Des suites d'une longue et cruelle maladie selon la formule consacrée. Je ne m'étendrais pas sur les soubresauts de cette histoire. A la veille de prendre une décision qui nous a affecté tous les deux, il m'a dit une phrase, qui dans sa bouche a pris un accent particulier, et qui m'a profondément blessé ;"Tu ne vois donc pas que tu m'empêches de vivre !" Pour quelqu'un dont les semaines étaient décomptées, la saveur ne m'a pas paru évidente sur le coup. Il m'aura fallu trois bonnes années plus deux ans de volontariat dans une association d'aide aux malades du sida et leurs familles pour comprendre cette simple phrase et pour accepter son sens. Ne nous protégeons pas le coeur, pire ne protégeons pas les gens que l'on aime de notre amour. Comprenez bien le sens de mes dires; je ne fais pas l'apologie du barebacking, tant s'en faut. Je dis que c'est au travers du quotidien, en acceptant et en défendant le choix des personnes malades, et ce quelque soit la maladie, que l'on peut les aider. Et cela se fait à chaque jour et pas seulement le 1° Décembre. Autre exemple, au sein de cette association, bien sûr nous souligniions le 1°Décembre, c'était souvent l'occasion de réclamer des subventions, profitant ainsi d'une couverture médiatique importante, parce que nous, nous n'étions pas AIDES. Mais notre travail se faisait à l'année longue. Dans mon secteur, j'avais la charge de 5 personnes. Toxico, homo, fin de vie, amputation due au Kaposi, je connaissais bien. Souvent, il m'est arrivé d'avoir peur : être reçu seul par un psycho délirant, m'expliquant comment et pourquoi le gouvernement le surveillait et que "après tout, t'es qui toi ? Hein, pis je te connais pas. Tu es un des leurs" pis le voila qui s'en allait chercher un couteau, c'est pas rassurant. Etre appelé dans la nuit parce que l'un de vos protégés allait passer et qu'il réclamait votre présence, c'est pas toujours évident, même avec le temps. Mais voir l'utilité du travail accompli, de la persévérance, voir ces enfants grandir malgré la maladie, malgré la disparition de leurs parents, malgré l'abandon des leurs c'est plus que réconfortant. Nous organisions des pic-nics, une fois le mois et tous nos protégés et leurs familles y étaient conviés et cela faisait souvent de belles fêtes. Mais de tous ces plaisirs, et ce qui me conforte dans mon opinion est le cas de l'un de mes protégés en "vacances thérapeutiques" et récidiviste, ce qui est une très mauvaise idée lorsque l'on est en tri-thérapie et que l'on a épuisé à peu prés toutes les molécules disponibles de cette époque. A force de travail, ensemble, de découragement, aussi ensemble, car il est incroyablement difficile de se battre pour quelqu'un qui a abandonné la lutte, ce gars a récupéré un semblant d'équilibre et de confiance. Il a renoué, parfois difficilement, avec sa famille, a acquis une fragile mais réelle hygiène de vie. Je l'ai revu peut-être deux ou trois ans plus tard, alors que j'avais quitté E.U.S. . Je n'ai pas oublié ce qu'il a dit : "merci de t'être acharné. Aujourd'hui j'ai un nouveau cocktail qui fonctionne bien. Je suis très strict sur l'observance du traitement, je ne me shoote plus, j'ai mon appartement et j'ai renoué avec toute ma famille sauf ma soeur qui ne veut toujours pas me voir. Je devrais même peut-être pouvoir obtenir un mi-temps thérapeutique." Il a réussi parce qu'il l'a voulu. Parce qu'aussi il a trouvé quelqu'un pour l'épauler c'est le résultat d'un acharnement quotidien ou presque. Je connais, beaucoup plus proche, une personne qui se bat, encore qu'appliqué à elle le terme soit un peu exagéré : elle est indétectable depuis 10 ans, contre la VIH. Elle a décidé de fonder sa famille, y est parvenu sans aucun problème pour elle-même ou ses enfants. J'étais contre bien sûr. Mais l'homme qui l'aime l'a voulu pareillement, les médecins assuraient que dans ses paramètres, elle avait plus de chances de mettre au monde des enfants sains. Ils ont pris ce risque que je trouvais insensé. Mais, je me suis souvenu de Nico :"Tu ne vois donc pas que tu m'empêches de vivre ?" Qui donc suis-je pour te refuser ce qui peut t'apporter du bonheur et peut-être même une raison de vivre ? Dès l'instant que les paramètres sont optimaux ?
Donc, oui je refuse que cette journée soit celle du SIDA, car lui, c'est tous les jours qu'il avance. De même que les myopathies, les cancers, les maladies orphelines...............